Qui connait quoi?

Si l'on poussait le lourd portail vert sapin rouillé par le temps qui grinçait à chaque passage d'enfants, l'on pouvait voir à travers les larges baies
vitrées, une foule de jeunes élèves tristement identiques. Mais parmi ces clones studieux se trouvait une jeune fille différente. Elle n'était entourée que de
ses plus fidèles amis qui désespéraient. Car en effet, quatre fois par jour elle pleurait. Quatre fois par jour on pouvait voir couler silencieusement de jolies perles
iodées le long de son visage. Ses amis tentaient de la consoler et essayaient de comprendre la raison de sa tristesse. Et à chaque fois elle disait :
"Ca va aller. Quand il sera de retour, tout s'arrangera. Quand il reviendra, tout rentrera dans l'ordre."
Alors son entourage ne posait pas plus de question de peur de faire empirer son état.
Chaque journée était la même, les enfants passaient le portail vert grinçant, ils étudiaient sagement. Chaque jour les élèves étaient les mêmes. Chaque
jour la jeune fille pleurait quatre fois, et elle répétait :
"Ca va aller. Quand il sera de retour, tout s'arrangera. Quand il reviendra, tout rentrera dans l'ordre."
Chaque soir elle prenait le même chemin qu'elle avait emprunté le matin. Seules les saisons changeaient, printemps, été, automne, hiver.
Et la même journée recommençait. Quatre fois elle pleurait. Les enfants étudiaient. Chaque fois elle disait :
"Ca va aller. Quand il sera de retour, tout s'arrangera. Quand il reviendra, tout rentrera dans l'ordre."
Et le soir, elle repassait Rue Anagallis, elle s'arrêtait quelques minutes puis repartait, laissant s'échapper quelques larmes qui disparaissaient sur la tombe de son ami.

Ca y est. Ma vie est finie. Je sais comment va se passer la suite. Je le devine. Il va vouloir qu'on reste amis, je vais être contente de sa réaction et je
vais accepter. Puis la rumeur se répandra. Les gens se mêleront de cette histoire, tous. Ils viendront amener embrouilles et ennuis. Ils influenceront tous
nos choix, nous ferons souffrir sans le vouloir, parfois même en le voulant. Et puis tout ne sera qu'embrouille et confusion entre nous. Peut-être même
qu'il deviendra paranoïaque et que le moindre point commun que l'on aura passera pour du copiage. La moindre action paraîtra suspecte. Et alors l'amitié
elle-même ne sera plus possible. les barrières deviendront infranchissables. Nous nous éloigneront malgré nous. On devra oublier. Je ne voudrai pas.
Il s'en fichera, ou pas. Je souffrirai. Beaucoup. J'essaierai encore et encore d'effacer le passé. J'essaierai de tromper les autres pour qu'ils
changent leur attitude. J'essaierai encore et encore de recoller les morceaux. Je n'abandonnerai pas. Je n'abandonnerai pas une partie perdue d'avance.
Je ferai des efforts, toute seule. Je travaillerai une relation, toute seule. En vain. Et malgré tout, je continuerai.